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Sous nos paupières, le monde

Une relecture de l'actualité. Dans chaque regard porté sur le monde, il y a l'éveil d'une fiction...

EUROPE FANTÔME

30 décembre 2015, déclaration du Commissaire Européen allemand Günther Öettinger : "Je perçois pour la première fois un danger sérieux de désagrégation de l'UE."

21 février 2016, début des commémorations de la Bataille de Verdun.

Rentrée scolaire 2016 : suppression des Classes Européennes dans les collèges de France.

Incroyable d'entendre encore des voix. D'adolescents. Ici, à cet endroit précis de la désolation ancienne. Une jeunesse abasourdie par ce que l'Histoire lui renvoie, à l'Ossuaire de Douaumont. Lentement, par petits groupes, ils reprennent vie, leurs vies. Besoin de parler, de se toucher, de voir qu'il y a encore de la chair autour de leurs os à eux. Ils viennent de toute l'Europe. Des Anglais de Newcastle, des Autrichiens de Vienne, des Polonais de Cracovie, des Allemands de Berlin et des Français, de Saint-Germain en Laye, de Marseille, et puis ses élèves, en classes européennes au lycée Molière de Paris. Différentes langues, différents accents, on se comprend comme on peut, on échange maladroitement, mais l'émotion est la même. Tous font partie du "Relais de la Mémoire Juniors", des collégiens, des lycéens, ils se rencontrent plusieurs fois par an, aux quatre coins de l'Europe, pour que, précisément, ce continent prenne forme humaine. Et là, bien sûr, en ce 21 février 2016, c'est à Verdun qu'ils ont choisi de se retrouver, centenaire de la bataille oblige... La journée touche à sa fin, un vent obscur annonce la nuit toute proche. Les mains sont glacées, les yeux se terrent comme dans des trous d'obus, la boue semble coller aux langues et aux coeurs. Mais à mesure qu'on s'approche des bus, des rires reviennent, timides, presque gênés, des rires comme des fusées éclairantes, car il faut bien évacuer, se remettre dans le sens de la vie.

Le professeur est quelques mètres derrière. il couve ses élèves du regard, les siens et ceux des autres pays, il ne fait pas de différence. D'ailleurs, ils ont décidé de se mélanger dans les bus qui vont les ramener sur Paris, spontanément, de leur propre initiative. Les élèves de Molière sont ceux qui reçoivent, cette fois, chaque famille française va accueillir deux autres jeunes Européens, l'an prochain ce sera à Cracovie, trois jours de visites, de débats, de dialogue, l'espace Schengen pour chambre d'écho. Déjà, ils s'apprivoisent et se pardonnent les erreurs du passé. Ils font connaissance. Ils font Europe.

L'angoisse du professeur en sortie scolaire : oublier un élève. Ils sont si prompts à s'envoler, à cet âge. Alors, les compter, les recompter et là, il aurait juré qu'il y en avait deux de trop. impossible ! Et pourtant... Assis au fond du car, deux silhouettes tachées de sang et de boue, déchirées par les barbelés, l'un est Allemand, l'autre Français, ce sont leurs uniformes qui nous l'indiquent, ils n'ont plus vraiment de visage, deux crânes sous deux casques, leurs têtes ont été vidées de leurs rêves. Les jeunes autour d'eux ne semblent pas les voir. Deux fantômes. À qui l'éternité offre une seconde chance. Embarqués là, dans ce bus sans frontières.

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